Quatre rencontres se sont déroulées de décembre à mars 1996. Ces réunions ont regroupé chaque fois une vingtaine de participants, pour moitié des médecins généralistes (dont certains interviennent dans des associations travaillant avec des personnes en situation de précarité, ou dans des syndicats professionnels), et des travailleurs sociaux (assistants sociaux de secteur, intervenants d'associations de réinsertion, responsables d'équipes, cellules d'appui RMI, personnels de MairiesÉ). L'objectif de ces rencontres était d'analyser les difficultés de travail en commun des médecins et des travailleurs sociaux, et d'améliorer l'accompagnement et la prise en charge des personnes en situation de précarité (chômeurs, chômeurs de longue durée, bénéficiaires du RMI, É).
Les principales constatations:
Un certain nombre d'obstacles à la communication et la collaboration ont pu être retenus.
1. La formation professionnelle initiale: le filtre du regard détermine ce qui est vu ou repéré, concernant les personnes en difficultés.
2. L'analyse des situations et les projets qui en découlent dépendent donc largement de la formation, mais aussi des personnalités, des positions idéologiques (voire politiques), des pratiques, des investissements professionnels de chacun des intervenants; une éventuelle « compétition » entre les champs de compétence de chacun, se réglant au détriment de l'usager a été abordée. Ce serait poser la question: qui détient le bon projet pour cette personne?
3. Globaliser la réflexion en identifier « les assistantes sociales » ou « les médecins » conduit à forcément à une réduction et à des erreurs. Sur le terrain, les situations sont toujours très différentes, et, les participants ont pointé qu'il existait « des » assistantes sociales «et « des » médecins.
4. Ces deux types de professionnels sont souvent surchargés de travail mais leurs contraintes sont quasiment opposées:
¥ salarié/paiement à l'acte,
¥ clientèle captive / libre choix du médecin.
¥ hiérarchie et équipe/ autonomie et solitude du libéral
horaires fixes de présence et de permanence / horaires extensifs et disponibilité de soirée ou de week-end,
¥ possibilité de réunions de synthèse / priorité donnée à la relation singulière dans le temps court de l'acte médical..
Pour les médecins, l'acte de coordination n'existe pas, il n'a aucune codification; dans ces conditions, comment l'exercer, en dehors du bénévolat, qui a ses limites?
5. Lorsqu'une relation professionnelle est difficile, lorsqu'elle confronte l'intervenant médical ou social à des échecs itératifs, une incompréhension des mécanismes en jeu, une impuissance à les analyser ou à les déjouer, s'ajoutent à des doutes sur le fond de son exercice, une usure professionnelle s'installe; l'autre, le partenaire éventuel, méconnu, difficilement joignable, peut alors prendre la place soit d'un bouc émissaire (responsable en partie des difficultés), soit d'un collaborateur idéalisé (qui pourrait tout résoudre); dans l'un ou l'autre cas, cette place dans l'économie de la situation soulage temporairement l'intervenant d'une partie des difficultés de réflexion et de gestion.
6. Communiquer entre professionnels, c'est souvent confronter sa pratique au regard d'un autre, donc se soumettre à d'autres critères d'évaluation que les siens; c'est aussi partager son pouvoir de décision et donc apparemment risquer d'en perdre une partie.
Les objectifs et les contraintes d'un travail en commun:
- La communication et la collaboration entre professionnels ne peuvent résoudre tous les problèmes rencontrés auprès de ces publics; c'est un truisme. Cependant, elles permettraient:
¥ de soulager chacun, au moins en partie, par le repérage et le partage des difficulté communes,
¥ de faire appel à bon escient à des professionnels différents;
¥ d'élargir les points de vue en confrontant les positions de chacun,
¥ et surtout, de restaurer la place première du désir et des choix de la personne demandeuse, d'améliorer l'accueil et l'accompagnement qu'on lui propose.
- Le secret professionnel (qui concerne autant le médecin que le travailleur social) doit être préservé de manière à empêcher toute dérive de type contrôle ou "flicage".
- le médecin généraliste, qui est toujours perçu comme le soignant de référence par les personnes marginalisées, pourrait alors agir comme acteur d'insertion; et à l'inverse, le travailleur social comme acteur de santé. Il ne s'agit pas que le médecin se substitue au travailleur social ou inversement, mais de réaliser un véritable accompagnement de la personne dans son parcours médical et social.
Modalités de la collaboration.
- Les médecins peuvent avoir besoin de connaître (ou de savoir où trouver des renseignements) d'un certain nombre de procédures et de droits pour pouvoir effectuer une sorte de "pré-orientation sociale" de personnes qui ne connaissent pas leurs droits ou qui se repèrent mal dans les services existants; il semble clair que l'exercice médical avec les personnes marginalisées nécessite un mode d'accueil et des stratégies décisionnelles adaptées, et qu'une communication interprofessionnelle peut faciliter cette pratique.
- Les travailleurs sociaux peuvent avoir besoin d'exprimer aux médecins leurs inquiétudes au sujet de la santé d'un usager, et peut-être ainsi faire passer une parole que la personne ne parviendrait pas à formuler elle-même.
- La collaboration ne devrait pas demander un temps de travail supplémentaire trop important, car il s'agit de faciliter les pratiques et non de les alourdir. Les logiques et les cultures professionnelles de chacun doivent être respectées, ainsi que les champs de compétence respectifs.
Quels outils pourraient initier l'approfondissement du travail en commun?
- informations sur les droits les plus usuels, tant sur le plan médical que social
- annuaires des différents intervenants, avec leurs champs de compétences, les horaires de permanenceÉ
- téléphone de référence du type "Allô Social" permettant à chacun, professionnel ou usager, de trouver une réponse à chacune des questions
- la création d'une fonction de médiateur médico-social (unique ou " tournant" ), identifié par les usagers comme pouvant intervenir à leur demande auprès des professionnels
- rencontres de formation interdisciplinaire, les formations communes étant un moment privilégie de re-connaissance mutuelle
- la mise en place sur le terrain de groupes de travail, pour identifier les problèmes rencontrés sur le terrain, et faire circuler l'information sur les solutions trouvées ici ou là.
Les conclusions de ce groupe de professionnel peuvent paraître modestes. Il s'agit cependant d'un travail remarquable, prouvant la possibilité d'un dialogue entre professionnels de culture et de pratique différentes. Ces rencontres sont également un premier temps qui va se prolonger sur le terrain autour de formations conjointes, et sans doute par des expérimentations de réseaux de soins en 1997.
Ont participé à ces rencontres:
Travailleurs sociaux: Carla BARTOLONI, Maud BICHON, Bernadette BRUGERE, Franck CHAUSSADE, Mme DELONCAMP, Jean-Paul DUPRE, Claudine HUBERT, Bernard MASSON, Marie-Noëlle RICCI, Isabelle SCHIFFER
Médecins généralistes: Michel BONDONNEAU, Martin BONICEL, Marie-Véronique CONSTANT, Eric DRAHI, François GUILLEMONT, Jacques LAARMAN, Jacques LAMBERTON, Anne LAZAREVITCH
Avec l'aide de Bernard ELGHOZI, Bernard PISSARRO, Hector VILES, Pierre COTE
UNAFORMEC
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